Le 15 juillet 2025
Pourquoi j’ai fait ce saut de carrière ?
Il y a cinq ans, en pleine crise du Covid, j’ai décidé de me consacrer pleinement à la peinture et au dessin. À l’époque, je suivais des cours de peinture au SLAC à Leuven, mais ceux-ci ont été suspendus. Cela tombait presque bien : je ressentais de plus en plus d’ennui face aux contraintes imposées par l’académie, et j’avais déjà une idée très claire de ce que je voulais peindre. Je voulais créer un monde imaginaire, créer quelque chose de beau, qui vient du cœur et qui me ressemble en étant libre et autonome. Je me suis dit qu’avec les bases acquises, j’étais prête à me lancer seule.
Mes enfants, dont je m’étais occupée à temps plein pendant des années, devenaient peu à peu de jeunes adultes. Je savais qu’ils allaient bientôt quitter la maison, et je sentais approcher le vide que cela allait créer. À cette perspective s’ajoutait une véritable tempête intérieure liée aux bouleversements hormonaux de la ménopause. J’avais besoin de recommencer un nouveau chapitre après avoir tournée la dernière page d’un livre.
Alors avec beaucoup de motivation, je suis montée au grenier fraîchement aménagé, j’ai sorti une grande toile de 100 x 120 cm, de la peinture à l’huile… et j’ai commencé. J’ai voulu immortaliser notre vie de famille, avec mes enfants, en y mêlant des animaux, des plantes — tout ce qui faisait notre monde. J’avais pour cela une immense base de données de photos de famille, de notre maison, du jardin, des chats… J’ai commencé à composer dans ma tête comme un collage de fragments de souvenirs, que je traduisais ensuite en un croquis. Ce premier tableau, An Afternoon in 2050, est né ainsi : une scène autour d’une table, dans un monde réinventé.
Pendant que je peignais, j’écoutais des interviews de Paul Delvaux. Il me touchait par sa simplicité. Il peignait son monde intérieur, nourri de ses souvenirs d’enfance avec chaque fois cette crainte de ne pas être capable d’y arriver. Alors je me suis dit : Pourquoi ne pourrais-je pas, moi aussi, créer mon univers imaginaire ?
Ce premier tableau m’a procuré énormément de plaisir, et aussi un étrange apaisement. Je devais me concentrer longuement sur les visages, les mains, les détails… prendre le temps. Et ce faisant, j’avais l’impression de passer du temps avec mes enfants, comme si je les retenais encore un peu à mes côtés à travers la toile.
Mais au fond, il y avait plus que cela. J’ai toujours eu du mal à vivre dans le monde tel qu’il est. La course au matériel, la déconnexion du vivant, l’indifférence à la beauté me pèsent. J’ai souvent eu ce sentiment de décalage. Très tôt, je me suis sentie différente, comme si je ne rentrais pas tout à fait dans le moule, c’est pour cela que j’avais à l’époque du mal à travailler en entreprise. Finalement, être seule dans mon atelier à peindre ou dessiner, ça me convient parfaitement.
La quête du beau m’habite depuis toujours. Petite vers 6 – 7 ans, quand on me demandait ce que j’aimais, je répondais : j’aime ce qui est beau. Et j’allais jusqu’à noter, dans un petit carnet, des points pour les toilettes des maisons que je voyais chez les amis, dans la famille. J’évaluais leur beauté selon des critères bien à moi. C’était déjà ma façon de voir le beau là où d’autres ne regardent même pas.
Mon lien au vivant est tout aussi ancien. Il vient sûrement de l’enfance, passée dans notre grand jardin sauvage qui descendait vers une rivière sinueuse entourée de chênes, de noisetiers, de peupliers. Ce jardin était mon refuge. Le son de l’eau sur les pierres, les chants d’oiseaux, la lumière filtrée par les feuillages… Tout cela m’a modelée. Nous avions aussi à la maison un choucas apprivoisé, Milou, Il était libre de rentrer et sortir de la maison comme il désirait. Lorsqu’on l’appelait par son nom, il venait se poser sur l’épaule. Sans compter les nombreux chats que nous avons eus et les nombreuses heures que j’ai passées avec eux à jouer au docteur. Ce lien fort, presque magique, à la nature et aux animaux, m’habite encore aujourd’hui.
Et puis, il y a eu Le Petit Prince de Antoine de Saint-Exupéry. J’avais reçu un disque vinyle de cette histoire que j’écoutais à l’âge de la maternelle (5 ans) sur l’heure du midi lorsque je venais manger mes tartines à la maison. Je me couchais sur le ventre par terre sur le tapis et je me laissais bercer par la douce voix de Gérard Philipe. Je crois que ce récit m’a profondément éduquée : il m’a appris la valeur des liens du cœur. C’est probablement pour cela que je ressens aussi fort l’importance du vivant, du respect de toute chose qui vit, qu’elle soit humaine, animale ou végétale.
Je crois que nous vivons dans un monde qui valorise trop la possession et pas assez la contemplation. Moi, je préfère m’émerveiller d’un oiseau qui chante le matin, d’une mauvaise herbe qui pousse entre deux dalles de trottoir, du sourire d’un inconnu croisé lors d’une promenade. Cela me suffit. J’éprouve une vraie joie à voir ces petites choses, là où beaucoup ne prennent plus le temps de regarder.
Face à l’actualité, aux conflits, aux injustices — et surtout face aux dérèglements profonds liés au réchauffement climatique — je me sens impuissante. Alors je fuis. Je me réfugie dans mon monde intérieur. Peindre et dessiner est une manière d’absorber ce qui me dépasse et de le transformer. C’est un refuge. Mais c’est aussi une mission, de plus en plus claire avec le temps : éveiller, toucher, faire réfléchir sans mettre la pression. Et puis il y a eu cette rencontre, comme un éclat discret qui a révélé que ma lumière pouvait être vue — même dans sa fragilité.
À travers mon travail, j’espère inviter les gens à ralentir, à prendre le temps de regarder mes œuvres mais aussi le monde qui les entoure, à se reconnecter à la beauté du monde, à repenser la manière dont ils vivent. Une œuvre, un regard, peut être le début d’une prise de conscience. Ce que j’aimerais, c’est semer des petites graines, tout simplement.
Voilà, je crois que c’est pour cela que j’ai commencé à peindre et dessiner à temps plein, il y a cinq ans.